Discours du Président de la république, Emmanuel Macron, lors de l’hommage national au colonel Arnaud Beltrame, le 28 mars 2018, cour d’honneur des Invalides, Paris
« Messieurs les présidents, le Premier ministre, les ministres, les parlementaires, les officiers généraux, sous-officiers, gendarmes, les personnels civils de la gendarmerie, madame Beltrame, chère famille Beltrame, mesdames et messieurs.
Il était environ 11 heures, ce vendredi 23 mars 2018, lorsque le lieutenant Arnaud Beltrame s’est présenté avec ses hommes devant la grande surface de Trèbes, dans l’Aude. Un quart heure seulement leur avait suffi pour être sur les lieux. Que savaient-ils à ce moment-là du terroriste qui s’était retranché ? Ils savaient qu’il avait tué le passager d’une voiture, et grièvement blessé son propriétaire, ils savaient qu’il avait tiré sur des CRS, blessant l’un d’eux à l’épaule. […] Ils savaient que dans ce commerce où il s’était retranché, il avait tué deux hommes à bout portant. […] Nous pensons en cet instant à ces blessés, à ces morts, nos morts, et à leurs familles, dans le recueillement. […]
« Sa grandeur a sidéré la France »
Avide de néant, ce meurtrier cherchait la mort, cherchait sa mort. Une mort que d’autres avant lui avaient trouvée. Une mort qu’il croyait glorieuse mais qui était abjecte. Une mort qui serait pour longtemps la honte de sa famille, des siens et de ses coreligionnaires. Une mort lâche obtenue par l’assassinat d’innocents. L’employée prise en otage était de ces innocents. Pour le terroriste qui la tenait sous la menace de son arme, son sort ne comptait pas. Son sort sans doute allait être le même. Mais cette vie comptait pour Arnaud Beltrame, elle comptait même plus que tout car elle était la source de sa vocation de servir.
Accepter de mourir pour que vivent des innocents, tel est le cœur de l’engagement du soldat. Etre prêt à donner sa vie, parce que rien n’est plus important que la vie d’un concitoyen, tel était le ressort intime de sa vocation. Là était cette grandeur qui a sidéré la France. Elle irradiait de sa personne, elle lui valait l’estime de ses chefs, l’amitié de ses collègues et l’admiration de ses hommes.
A cet instant, d’autres parmi les braves auraient peut-être transigé ou hésité. Mais le lieutenant-colonel Beltrame s’est retrouvé face à la part la plus profonde et peut-être la plus mystérieuse de son engagement. Il a pris une décision qui n’était pas seulement celle du sacrifice mais celle de la fidélité à soi-même, à ses valeurs, à tout ce qu’il avait toujours été et voulu être, à tout ce qui le tenait. D’autres auraient peut-être transigé. Mais le colonel Beltrame a pris une décision conforme à ce qu’il était et voulait être. Ce choix lui ressemblait tellement que sa mère, apprenant qu’un gendarme accomplissait ce geste, a presque charnellement reconnu son fils. Elle a su que c’était lui, avant même de savoir.
« L’exemplarité était pour lui une vertu cardinale »
Lucide, déterminé, le lieutenant a pris aux côtés du terroristes la place de l’otage. Il était presque midi. Il sentait sûrement qu’il avait rendez-vous avec la mort mais il avait rendez- vous avant tout avec sa vérité d’homme, de soldat, de chef. Ce fut la source de son immense courage. Il a fait ce choix parce qu’il se serait éternellement reproché de ne pas l’avoir fait. Pour ne pas manquer aux autres, il ne faut pas manquer à soi-même.
Je sais ce que peuvent ressentir ceux qui étaient à ses côtés ce jour-là. Ils revoient le lieutenant-colonel Beltrame déposer son arme, lever les bras et s’avancer seul vers le terroriste. Ils savent que tout s’est joué là, et qu’il n’aurait laissé sa place à personne. L’exemplarité était pour lui une vertu cardinale.
Au coeur du courage vient une grande force morale, elle ne se discute pas, elle pousse à agir. Le lieutenant-colonel Beltrame était de ces fils que la France s’honore de compter dans ses rangs. Dès sa sortie de l’école Saint Cyr, il avait choisi la gendarmerie. Il en avait fait sa seconde famille. Une gendarmerie qui paie chaque année son tribut à la protection des Français.
Une gendarmerie qui cette fois encore s’est illustrée par sa maîtrise et sa force et je rends ici hommage aux forces de gendarmerie de l’Aude. Tous sont durement éprouvés par la perte de leurs camarades. Je sais qu’ils ont tout fait pour que le pire n’advienne pas. Comme leurs camarades de la police et du renseignement. Les Français n’oublient pas non plus le tribut payé par les forces de sécurité sur le territoire national et par nos armes sur les théâtres extérieurs. Tous méritent un respect inconditionnel.
« L’intolérable, jamais, ne peut l’emporter »
Tous, je le sais, partagent la certitude profonde que son destin ne lui appartenait pas tout à fait car il était un engagé. Et il avait juré de faire corps avec un idéal plus grand et plus haut, et cet idéal, c’était le service de la France. Dès que nous eûmes appris son geste à l’issue incertaine, nous tous, Français, avons tremblé d’un frisson singulier. L’un d’entre nous venait de se dresser, droit, lucide et brave. Il faisait face à l’agression islamiste, à la haine, à la folie meurtrière.
Cette détermination inflexible face au nihilisme barbare convoqua aussitôt dans nos mémoires les souvenirs de Jean Moulin, Pierre Brossolette. Soudain se levèrent les ombres des compagnons de Jeanne et de Kieffer, de toutes ces femmes et de tous ces hommes, ceux là qui un jour avaient décidé que la France, la liberté française, la fraternité française, ne survivrait qu’au prix de leurs vies et que cela en valait la peine. L’intolérable jamais ne peut l’emporter.
Des valeurs niées par le terroriste de Trèbes, et le meurtrier de Murielle Knoll.
Non, ce ne sont pas seulement les organisations terroristes, les imams de haine et de mort que nous combattons. C’est aussi cet islamisme souterrain, qui progresse par les réseaux sociaux, qui accomplit son oeuvre de façon invisible, agit clandestinement sur des esprits faibles et instables, qui sur notre sol endoctrinent au quotidien. Un ennemi insidieux qui exige de chaque citoyen un regain de vigilance et de civisme. Il s’agit là d’une nouvelle épreuve, mais notre peuple en a surmonté beaucoup d’autres, c’est pourquoi il surmontera celle-ci. Sans faiblesse et sans emportement, avec lucidité et méthode. Nous l’emporterons grâce au calme et à la résilience des Français. Nous l’emporterons par la cohésion d’une nation rassemblée.
Pendant ces heures interminables, nous avons tous espéré. Dans la salle de commandement du ministère de l’Intérieur nous avons tous espéré. Chef des armées, j’ai moi aussi ô combien espéré. Le petit matin, hélas, nous apportait la nouvelle de sa mort comme un coup au cœur. Pourtant, malgré la tristesse, le sentiment d’injustice, la lueur qu’il a allumé en nous ne s’est pas éteinte. Elle s’est au contraire propagée.
Puisse son engagement nourrir la vocation de toute notre jeunesse, éveiller l’envie de servir à son tour. Oui, la France mérite qu’on lui donne le meilleur de soi, oui, l’engagement de servir et de protéger peut aller jusqu’au sacrifice suprême, oui, cela a du sens et donne sens à notre vie. Et je le dis à cette jeunesse de France qui cherche sa voie et sa place. L’absolu est là, devant nous, mais il n’est pas dans l’errance fanatique. Il n’est pas dans le relativisme morne que certains autres proposent. Il est dans le service, le don de soi, le secours porté aux autres, l’engagement pour autrui qui rend utile, meilleur, fait grandir et avancer.
Tel est la voie montrée par Arnaud Beltrame. Cet engagement, je le trouve chez nos militaires, nos pompiers, nos policiers, tous nos fonctionnaires engagés sur le terrain.
Il rejoint le cortège valeureux des héros qu’il chérissait
Chaque étincelle est précieuse à notre pays. Il a montré que le socle vivant de la République, c’est la force d’âme. Je le dis à son épouse, à sa mère, à ses frères : la leçon qu’il nous a offerte est d’un prix inacceptable je le sais, même si c’est le prix que chaque soldat est prêt à payer. La gratitude de la patrie et les honneurs rendus ne vous ramèneront pas l’être que vous aimaient tant.
Ce héros était un homme avec son histoire, ses liens, ses sentiments, ses questionnements. Lui même avait ses héros, les grands soldats français. Arnaud Beltrame rejoint aujourd’hui le cortège valeureux des héros qu’il chérissait. Vivre en vous, par vous, dans votre souvenir, vos prières, mais ce que nous vous devons c’est qu’il ne soit pas mort en vain. Que sa leçon demeure gravée dans le cœur des Français. Sa mémoire vivra. Son exemple demeurera. J’y veillerai, je vous le promets. Votre sacrifice, Arnaud Beltrame, nous oblige, il nous élève, il dit comme aucun autre ce qu’est la France et ce qu’elle ne doit jamais cessé d’être avec courage, sens de l’honneur, amour de la patrie que vous avez démontré. A ces mots, vous avez donné l’épaisseur de votre vie et les traits de votre visage. Au moment du dernier adieu, je vous apporte la reconnaissance la nation, je vous fais commandeur de la légion d’honneur et je vous nomme colonel de la gendarmerie. Vive la république, vive la France. »
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